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Après avoir accepté le testament de Charles II, mort sans descendance, le 16 novembre 1700 Louis XIV proclame le duc d’Anjou, roi d’Espagne sous le nom de Philippe V.
« La Folie des Grandeurs », classique du cinéma français est aussi une oeuvre historique. On découvre l’Espagne du XVIIème siècle avec Louis de Funès jouant don Salluste, ministre du roi Charles II époux de Marie-Anne de Bavière-Neubourg. Une fois n’est pas coutume le 7ème art a enjolivé son héroïne. L’ancien garde des Sceaux Jean Foyer la décrivait ainsi : « intelligente, hardie et hautaine, de méchant caractère et avare, dominatrice, elle va régner sur le roi. Un contemporain espagnol pourra dire : « La reine fait trembler le roi jusqu’aux os ! » Elle avait des relations conflictuelles avec Marie-Anne d’Autriche, sa belle-mère, qui n’avait pas hésité à la remettre à sa place : « Apprenez à vivre, Madame, et sachez une bonne fois pour toutes que des personnes beaucoup plus élevées que vous se sont inclinées devant moi, des personnes sur lesquelles vous n’avez qu’un seul avantage, vous êtes l’épouse de mon fils, un honneur que vous devez à moi seule. » Malheureusement le mariage ne donnait aucun héritier à la Couronne d’Espagne. À défaut de règles de dévolution de la couronne, Charles II, à l’article de la mort, le 2 octobre 1700, rédigeait son testament. Le duc d’Anjou, son petit-neveu, fils cadet du Grand Dauphin, petit-fils de Louis XIV, était désigné comme son successeur. Le 1er novembre 1700, Charles II rendait son âme à Dieu et la Maison de Habsbourg d’Espagne s’éteignait après 184 ans de règne.
Dans le Mercure galant, qui deviendra le Mercure de France (1672-1965), la première revue française à voir le jour, ses lecteurs pouvaient lire : « Le mardi 16 novembre 1700, le Roi étant entré dans son cabinet après son lever fit appeler l’ambassadeur d’Espagne et lui déclara en particulier l’acceptation qu’il avait faite de la couronne d’Espagne pour Monseigneur le duc d’Anjou et mit ce prince à sa droite et en même temps il le fit passer dans le second cabinet où était ce prince avec Monseigneur le duc de Bourgogne et Monseigneur le duc de Berry. L’ambassadeur à qui Sa Majesté le présenta le salua à genoux et lui baisa la main et un moment après il sortit du cabinet et retourna dans le salon. Monseigneur le duc de Bourgogne et Monseigneur le duc de Berry embrassèrent alors le duc d’Anjou et ils rentrèrent tous trois avec le Roi dans le cabinet du Conseil dont Sa Majesté fit ouvrir à l’instant la porte des deux côtés. Aussitôt beaucoup de personnes de considération et des ministres étrangers entrèrent dans le cabinet et le Roi leur déclara que Monseigneur le duc d’Anjou était roi d’Espagne et fit appeler pour la seconde fois l’ambassadeur qui entra suivi de son fils aîné et de plusieurs Espagnol. Le Roi lui dit, en lui montrant Monseigneur le duc d’Anjou : « Monsieur, saluez votre Roi. » Aussitôt l’ambassadeur se jeta à ses pieds et lui baisa sa main, les yeux remplis de larmes de joie.»
En 1665, Louis XIV avait débuté la rédaction de ses « Mémoires. Réflexions sur le métier de Roi », destinées à la seule instruction de son fils, le Grand Dauphin, alors âgé de 4 ans, En 1700, il offrait son Mémoire (plus connu sous le titre d’Instructions au duc d’Anjou) à celui qui allait devenir Roi d’Espagne. Comme l’écrivait Daniel Hamiche « Une synthèse magistrale que l’expérience et la réflexion de Louis XIV offrent comme vade mecum à son petit-fils, jeune prince de 17 ans désormais dépositaire d’une des plus illustres couronnes d’Europe. » Ce rare document autographe conservé de Louis XIV met en lumière sa politique de Bien Commun, son humanisme, son autorité et sa foi vivante. Certaines de ses recommandations sont intemporelles, inspirées par le Décalogue :
1 – Ne manquez à aucun de vos devoirs, surtout envers Dieu ;
2 – Conservez-vous dans la pureté de votre éducation ;
3 – Faites honorer Dieu partout où vous aurez du pouvoir ; procurez sa gloire ; donnez-en l’exemple : c’est un des plus grands biens que les rois puissent faire ;
4 – Déclarez-vous en toute occasion pour la vertu et contre le vice ;
5 – N’ayez jamais d’attachement pour personne ;
6 – Aimez votre femme, vivez bien avec elle, demandez-en une à Dieu qui vous convienne. Je ne crois pas que vous deviez prendre une Autrichienne (NDLR : il épousera effectivement le 3 novembre 1701 Marie-Louise-Gabrielle de Savoie, puis après son décès Isabelle Farnèse, fille du duc de Parme) ;
7 – Aimez les Espagnols et tous vos sujets attachés à vos couronnes (NDLR : il était Roi d’Espagne, de Sicile, de Naples, de Sardaigne et Duc de Luxembourg) et à votre personne ; ne préférez pas ceux qui vous flatteront le plus ; estimez ceux qui, pour le bien, hasarderont de vous déplaire : ce sont là vos véritables amis ;
8 – Faites le bonheur de vos sujets ; et, dans cette vue n’ayez de guerre que lorsque vous y serez forcé et que vous en aurez bien considéré et bien pesé les raisons dans votre Conseil ;
9 – Essayez de remettre vos finances ; veillez aux Indes et à vos flottes ; pensez au commerce ; vivez dans une grande union avec la France… ;
10 – Si vous êtes contraint de faire la guerre, mettez-vous à la tête de vos armées ;
11 – Songez à rétablir vos troupes partout, et commencez par celles de Flandre ;
12 – Ne quittez jamais vos affaires pour votre plaisir ; mais faites-vous une sorte de règle qui vous donne des temps de liberté et de divertissement ;
15 – Quand vous aurez plus de connaissance, souvenez-vous que c’est à vous de décider ; mais quelque expérience que vous ayez, écoutez toujours tous les avis et tous les raisonnements de votre Conseil;
16 – Faites tout ce qui vous sera possible pour bien connaître les gens les plus importants afin de vous en servir à-propos ;
18 – Traitez bien tout le monde ; ne dites jamais rien de fâcheux à personne ; mais distinguez les gens de qualité et de mérite ;
27 – Aimez toujours vos parents ; souvenez-vous de la peine qu’ils ont eue à vous quitter ; conservez un grand commerce avec eux dans les grandes choses et dans les petites ;
31 – Évitez, autant que vous pourrez, de faire des grâces à ceux qui donnent de l’argent pour les obtenir ;
33 – Je finis par un des plus importants avis que je puisse vous donner : ne vous laissez pas gouverner ; soyez le maître ; n’ayez jamais de favoris ni de Premier ministre ; écoutez, consultez votre Conseil, mais décidez : Dieu, qui vous a fait roi, vous donnera les lumières qui vous sont nécessaires tant que vous aurez de bonnes intentions.
Actuellement, l’exposition « Le Grand Dauphin, fils de roi (Louis XIV), père de roi (le duc d’Anjou) et jamais roi » au château de Versailles rappelle cet épisode, un peu méconnu, de l’histoire de France alors que la branche aînée des Bourbons n’aura régné qu’un peu plus de deux siècles (1589-1792, 1814-1830) celle d’Espagne est toujours sur son trône.
Nicolas Chotard,
Président des Lys de France. |