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Samedi dernier, à l’occasion de la messe d’action grâce pour la canonisation des seize Carmélites de Compiègne Mgr Laurent Ulrich a lu le message adressé par le pape « Dans l’action de grâce qui résonne aujourd’hui sous les voûtes de Notre-Dame de Paris en l’honneur de la canonisation des seize carmélites de Compiègne, Sa Sainteté le pape Léon XIV était profondément heureuse de s’associer à la joie de tous les fidèles. Plus de deux siècles se sont écoulés depuis la mort héroïque de ces religieuses sur l’échafaud durant la grande Terreur. Parmi les nombreux fidèles, religieux et prêtre martyrisés au cours de la Révolution française, les carmélites de Compiègne ont particulièrement forcé l’admiration de leurs geôliers eux-mêmes et ont imprimé dans les esprits et dans les cœurs les plus endurcis un trouble bienfaisant laissant place au divin. »
Quand la nuit de la Révolution s’abat sur le royaume des Lys, ce n’est pas le Trône, la monarchie qui est contesté mais l’Autel. En effet, dès le 20 août 1789, l’Assemblée Nationale devenue Constituante nomme un « Comité ecclésiastique » pour l’étude des propositions concernant la religion. Le 28 octobre, « l’émission des vœux dans les monastères est suspendue » le 2 novembre, jour des morts, un décret met les biens du Clergé à la disposition de la Nation, en d’autres termes ils sont spoliés. La déchristianisation de la société est le grand projet révolutionnaire, les saints du calendrier, des villes et des villages disparaissent. La France « fille aînée de l’Église » n’est plus, désormais ce sera la France de l’Homme « libre » dépourvu de « fanatisme et de superstitions. » Quand le Christ Sauveur est chassé de ses églises devenues temples de la Raison, Voltaire, l’auteur du célèbre « Écrasons l’infâme » et Rousseau entrent au Panthéon, qui n’est plus un sanctuaire à la gloire de la sainte patronne de Paris mais une nécropole nationale laïque réservée aux “Grands Hommes.”
Les idées nouvelles ont pénétré les cours européennes de Catherine II de Russie au Habsbourg. En Autriche, le « despote éclairé » Joseph II, empereur d’un “Saint-Empire”, qui n’en a plus que le nom, est le premier à pratiquer l’antichristianisme avec la dissolution en 1783 de toutes les confréries. Des Carmélites des Pays-Bas autrichiens trouvent alors refuge au royaume de France, gardien du catholicisme. Mais, un mois après la chute de la monarchie constitutionnelle, le 14 septembre 1792, le nouveau régime totalitaire persécute les Carmélites. Expulsées sans-le-sou, elles ont des difficultés pour s’acheter des habits civils et se mettre en conformité avec la loi républicaine qui interdit le port des vêtements religieux.
Jusqu’à la Révolution les Carmélites vivent une existence paisible à l’ombre de la famille royale. Comme l’écrit l’historien Jacques Bernet, « au gré des fréquents séjours de la Cour : le jeune Louis XIV fut ainsi élevé près des sœurs, que Madame de Maintenon, puis la reine Marie Leczinska prirent sous leur protection, dotant des religieuses et leur rendant de fréquentes visites. Cette tutelle royale traditionnelle devait évidemment jouer en leur défaveur sous la Révolution. » Madame Louise de France, fille de Louis XV et de Marie Leczinska, entre au Carmel de Saint-Denis en 1770. Cette même année Marie-Antoinette, âgée de 15 ans, arrive en France et s’empresse de lui rendre visite le 15 mai 1770, veille de son mariage officiel avec le Dauphin. En octobre à la cérémonie de la prise d’habit c’est elle qui lui remet son voile. Dans sa lettre à sa mère l’impératrice Marie-Thérèse, comme un pressentiment, elle écrit : “La cérémonie a été imposante. Ma tante avait la sérénité d’une sainte.” La future Bienheureuse Louise de France sera à l’origine de la vocation de deux des futures martyres de Compiègne.
Marie-Antoinette conservera au Carmel son affection, en 1773, un an avant de devenir reine, elle dote Madame Lidoine (en religion mère Thérèse de Saint-Augustin). Lors de son procès inique à l’accusation de recel d’armes pour les émigrés, la religieuse y répond en sortant énergiquement son crucifix et le montrant aux juges tyranniques déclare : « Voilà, voilà, citoyen, les seules armes que nous ayons jamais eues dans notre monastère » puis on lui reproche d’avoir exposé le Saint-Sacrement sous un ornement fleurdelysé témoignant ainsi son attachement à la royauté et par là à Louis XVI et à sa famille. Du plus profond de son cœur fidèle la réponse est celle d’une âme pure : « Citoyen, si c’est là un crime, nous en sommes toutes coupables, et vous ne pourrez jamais arracher de nos cœurs l’attachement à Louis XVI et à son auguste famille. Vos lois ne peuvent défendre ce sentiment ; elles ne peuvent étendre leur empire sur les affections de l’âme. Dieu, Dieu seul a le droit de les juger. »
Les seize carmélites sont reconnues coupables d’être des «ennemis du peuple.» Fouquier-Tinville confirme la sentence « C’est d’après la vérification de ces faits, qu’au nom de la nation, le tribunal prononce, contre les ex-religieuses de Compiègne, les citoyennes Lidoine, Croissy, Thouret, etc., la peine de mort. » et signe l’acte d’accusation le 28 messidor an second de la République française correspondant au 16 juillet 1794, en la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, le jour de leur fête patronale, une coïncidence venue du Ciel qui va bientôt s’ouvrir pour les accueillir. Elles célèbrent l’événement en chantant une parodie de la Marseillaise :
Livrons nos cœurs à l’allégresse
Le jour de gloire est arrivé
Loin de nous toute faiblesse
Voyant l’étendard arrivé (bis)
Préparons nous à la victoire
Marchons tous en vrai conquérant
Sous le drapeau d’un Dieu mourant
Courons, volons tous à la gloire
Ranimons notre ardeur
Nos corps sont au Seigneur
Montons, montons à l’échafaud
Et rendons-le vainqueur.
Le lendemain, elles montent à l’échafaud s’offrant en holocauste pour « Apaiser la Terreur ». Dix jours plus tard on assiste effectivement à la chute de Robespierre, le véritable tyran. Le souvenir des Carmélites de Compiègne sera entretenu par Sœur Marie de l’Incarnation (Madame Françoise-Geneviève Philippe) absente le jour des arrestations étant dans l’obligation de régler une affaire de succession en tant que fille naturelle de Louis-François de Bourbon-Conti, arrière-petit-cousin de Louis XIV, cousin de Louis XV : « Ces fidèles épouses de Jésus-Christ, ayant fait, dès le matin, leur préparation à la mort, ne songèrent plus qu’à chanter les louanges du Seigneur ; car, aussitôt qu’elles furent montées dans les charrettes ou tombereaux qui devaient les conduire de la Conciergerie à la barrière du Trône, qui avait succédé depuis peu, pour les exécutions, à la place de la Révolution, autrement dite place Louis XV, elles chantèrent le psaume Miserere, l’antienne à la sainte Vierge, Salve Regina et le Te Deum. Arrivées aux pieds de l’échafaud, elles entonnèrent le Veni Creator, renouvelèrent les promesses de leur baptême et leurs vœux de religion. On remarquait, non sans un grand étonnement, que le bourreau, la garde, le peuple, les laissaient remplir ces divers actes de religion sans témoigner la plus légère humeur ou impatience. La foule même qui s’était pressée sur leur passage, quoiqu’accoutumée à vociférer contre ceux à qui l’on donnait le nom d’Aristocrates, gardait un morne silence ; et, si quelques mots se faisaient entendre, ce n’était que pour plaindre ces innocentes victimes et les admirer. On les entendait dire : « Oh ! les belles âmes ! quel air céleste ! Si elles ne vont pas tout droit en Paradis, il faut qu’il n’y en ait point. »
Nicolas Chotard,
Président des Lys de France |