En France, l'histoire de la chrétienté est étroitement liée à celle de la monarchie. À la suite du baptême de Clovis l’alliance du trône et de l’autel permit l’éclosion d’une société harmonieuse ancrée dans la civilisation chrétienne. Le regretté Prince Alphonse, duc d’Anjou (20 avril 1936 - 30 janvier 1989) disait même « Nous avons de solides raisons de penser que la flamme allumée au baptême de Reims (…) illumine encore notre route et nous indique le chemin à suivre ». La monarchie ne se limita pas d’accompagner le rayonnement de la chrétienté, la famille royale donna aussi des saints à l’Eglise. Si Louis IX (Saint Louis) est le plus connu, dans l’attente de la béatification de Madame Elisabeth (1764-1794), on peut prier Sainte Clotilde, Sainte Radegonde, Saint Gontran, Saint Siegebert, Sainte Bathilde, Ainte Aurélie, Bienheureuse Isabelle de France, Sainte Jeanne de France et la Vénérable Louise de France, fille de Louis XV (1737-1787), dont Saint Jean-Paul II a proclamé l’héroïcité des vertus en 1997.
Madame Louise de France avait quitté « la douceur de vivre » versaillais pour l’austère couvent de Saint-Denis, le plus pauvre du royaume. Menacé de fermeture les Sœurs s’en étaient remises à la Providence selon le fameux adage « Aide-toi, le Ciel t’aidera » et avaient entamé une neuvaine au Cœur de Marie. L’une d’elles raillait « il nous faudrait au moins une fille de roi ! ». Mais on ne plaisante pas avec le Ciel qui entendit les prières et exauça les Sœurs. La fille du roi justifiait sa décision : « Je vais vous dire les motifs qui m’ont engagée à quitter le monde, tout brillant qu’il pût être pour moi […] : mes péchés, ce qu’il en a coûté à Jésus-Christ pour nous sauver, la nécessité de la pénitence en cette vie ou en l’autre, bien difficile dans une vie aisée, surtout aimant autant ses aises que je les aimais, la parabole du chameau qui passerait plutôt par le trou d’une aiguille qu’un riche n’entrerait dans le Royaume du Ciel, la nécessité de l’aumône qui doit s’étendre sur tout le superflu, et ce superflu pour moi était immense, enfin le désir de posséder Dieu éternellement et de jouir de la couronne qui nous est préparée dans le ciel. » (Lettre de Madame Louise, 1er avril 1774, archives du carmel d’Avignon)
Le 4 mai 1770, quelques jours après son entrée au Carmel, Louis XV lui rendait visite refusant tout cérémonial « Ce n’est pas le Roi qui visite un des monastères de son royaume, c’est un père qui vient embrasser sa fille. » Le 15 mai, sur le chemin du retour, il lui présentait la pétillante Marie-Antoinette qu’il venait d’accueillir à Compiègne. La jeune archiduchesse de 15 ans tombait d’admiration pour sa tante. Après lui avoir fait un aimable petit reproche de ne pas avoir attendu son mariage pour quitter Versailles, elle lui soufflait : « Je sens de plus en plus que j’ai infiniment besoin de vos prières. Je reviendrai bientôt. » La prise d’habit eut lieu le 10 octobre 1770, Marie-Antoinette lui présentait la ceinture, le scapulaire et le voile. Dans une lettre à sa mère, elle écrivait « La cérémonie a été imposante. Ma tante avait la sérénité d’une sainte. » Touchée, Marie-Thérèse, qui appartenait au Tiers ordre du Carmel, lui envoyait son portrait d’Impératrice en carmélite accompagné de cette supplique : « Lorsqu’au pied des autels vous goûterez l’avantage du calme que vos vertus vous ont fait préférez au bruyant éclat de la Cour, jetez un regard sur ce portrait ; il vous demandera, en mon nom, un souvenir de tendresse pour ma fille et pour moi. »
Du « Siècle des Lumières » Louise de France en était l’antithèse, elle en dénonçait l’impiété et s’insurgeait contre son nouveau langage comme de voir le vocable « bienfaisance » remplacer celui de « charité » : « Oh le beau mandement ! Comme il drape la bienfaisance ! J’en suis ravie, car je déteste dans la bouche des chrétiens ces expressions que la philosophie ne fait tant ronfler que pour bannir la charité. Ce n’est pas que la bienfaisance soit un mal, mais ses motifs trop humains sont insuffisants pour faire l’aumône et en remplir le précepte. » En 1783, bien avant la Révolution française, elle était confrontée à ses futurs fruits vénéneux devant ouvrir son carmel aux treize religieuses chassées de leur couvent bruxellois par Joseph II, frère de Marie-Antoinette, « despote éclairé » qui, inspiré par l’esprit des Lumières, entendait soumettre l’Eglise à l’Etat en la balayant « de tous les fainéants contemplatifs », jugés inutiles ne contribuant pas, selon lui, ni au « Bien commun » ni à la construction du bonheur du peuple…en France, ces idées seront formalisées en 1790 par la Constitution civile du Clergé précurseur de la Terreur et des persécutions des chrétiens.
Comme le souligna l’abbé Christian-Philippe Chanut dans sa préface du livre Madame Louise de France, fille de Louis XV, carmélite et vénérable de Marie-Magdeleine del Perugia : « Peut-être empoisonnée par « la secte philosophique » aux derniers jours de l’Avent 1787, Madame Louise de France ne fut pas une de ces fières martyres de la Révolution où sa plus fidèle pupille, Mme Lidoine, prieure du Carmel de Compiègne, conduisit ses filles jusqu’à l’échafaud. » Etait-ce un pressentiment ? Louis XVI voyant l'attrait de sa soeur Madame Elisabeth pour Madame Louise de France la prévenait « Je ne demande pas mieux, un jour, que vous alliez voir votre tante, à la condition que vous ne l’imitiez pas. Elisabeth, j’ai besoin de vous. » Elle ne l’abandonna jamais, l’accompagnant à la prison du Temple avant que la Révolution ne lui ouvrit les portes du Ciel après avoir gravi les marches de l’échafaud. Peut-être alors s’était-elle souvenue des dernières paroles de sa tante : « Au galop, au galop, au paradis ! » Assoiffés de sang, de haine et d’idées macabres, en 1793, les révolutionnaires profanèrent la nécropole royale de Saint-Denis. Se souvenant que Madame Louise de France, fille de roi, avait été inhumée dans son couvent situé à deux pas, les vandales allèrent profaner sa tombe et jetèrent ses restes avec les siens dans la fosse commune donnant ainsi raison à celle qui aimait rappeler à ses novices que : « Tout ce qui ne vient pas de Dieu ne saurait être bon. »
Nicolas Chotard,